Logo du cabinet Mathias avocat : image cliquable pour retourner à la page d'accueil
Recette informatique et validité d’un constat sur Internet
5 juillet 2021

Par un jugement du 22 avril 2021, le tribunal de commerce de Marseille revient sur la répartition des responsabilités entre un prestataire et son client en matière de recette informatique. Ce jugement est également l’occasion de rappeler la position jurisprudentielle quant aux critères de validité d’un constat d’huissier sur internet.

Quels sont les faits ?

Une société a commandé la création d’un site web à un prestataire informatique et a souhaité à ce titre bénéficier de la qualité d’administrateur. Le prestataire a livré le site web, en rappelant à son client qu’il lui appartenait de vérifier son bon fonctionnement et de le valider.

A la suite de l’acceptation de la livraison du site, la société a continué à solliciter des corrections auprès du prestataire. Selon l’analyse par le tribunal, des pièces versées aux débats , les dysfonctionnements constatés résultaient notamment des problèmes de latence (erreurs de connexion) des utilisateurs du site, du nombre d’utilisateurs ou encore de la mauvaise qualité des mobiles utilisés.

En outre, le tribunal a constaté, à partir des échanges des parties, que les dysfonctionnements ont été découverts par le client six mois après l’acceptation de la livraison du site et ce, en raison de l’absence de tests suffisants effectués par le client au moment de la recette informatique.

Quelle est la solution ?

Le tribunal a écarté la responsabilité du prestataire en raison d’un manquement du client à son obligation de procéder à la vérification du bon fonctionnement du site livré, dans le cadre de la recette informatique et préalablement à son acceptation.

En outre, le tribunal a considéré qu’un constat d’huissier ne comportant pas de mention du serveur proxy devait être écarté des débats pour défaut de force probatoire.

Obligations des parties dans le cadre d’une recette informatique

La recette est une étape clef dans le cadre de la conduite d’un projet informatique. En effet, cette phase permet au client de vérifier la conformité fonctionnelle d’un livrable au contrat et à la documentation technique afférente. Réciproquement, elle permet au prestataire, d’exécuter son obligation de délivrance conforme en vertu des articles 1604 et suivants du Code civil.

De manière générale, l’acceptation par le client du livrable peut également constituer le point de départ d’une période de garantie de bon fonctionnement, pendant laquelle le prestataire s’engage à corriger, à titre gratuit, les anomalies survenues dans le cadre de l’utilisation du livrable par le client.

Dans le cadre de la recette, il est d’usage que chacune des parties procède à des tests du livrable. La nature et les modalités d’exécution de ces tests par le client sont généralement convenus entre les parties préalablement à leur mise en œuvre.

En l’espèce, pour débouter la société cliente de l’ensemble de ses demandes, le tribunal constate que :

  • Le prestataire a procédé aux corrections du site web même après son acceptation par le client et bien que les dysfonctionnements constatés ne rendissent pas le site inutilisable ;
  • le client était tenu « conformément à l’usage et aux conditions générales de vente » du prestataire d’effectuer les tests nécessaires dans le cadre de la recette informatique du site web livré ;
  • le client disposait de la qualité d’administrateur et des codes d’accès afférents et assumait à ce titre « l’entière responsabilité du fonctionnement du site ».

En outre, le tribunal s’appuie sur le périmètre contractuel, et notamment sur les prérequis d’utilisation du site web avec des navigateurs de bureau (« dernière génération en vigueur au moment de la livraison du site »), excluant toute garantie de bon fonctionnement du site web sur tablettes et smartphones réclamée par la société cliente.

Le tribunal en déduit l’absence de manquement du prestataire à ses obligations et, a contrario, un manquement du client à ses obligations dans le cadre de la recette informatique.

Validité d’un constat d’huissier sur Internet

Outre l’analyse des obligations des parties dans le cadre d’un projet informatique, le tribunal se prononce sur un point clef de procédure relatif aux mentions figurant sur un constat d’huissier sur Internet.

A titre de rappel, le constat d’huissier est un acte authentique dont les mentions relatives aux constatations valent jusqu’à preuve contraire, sauf en matière pénale.

Le constat d’huissier sur Internet peut constituer un élément de preuve déterminant dans un litige, permettant notamment de démontrer les dysfonctionnements constatés par le client dans le cadre de l’utilisation d’un livrable ou, inversement, la conformité d’un livrable aux spécifications d’un client.

Les règles techniques de validité des constats d’huissier réalisés sur Internet ont été précisées par la jurisprudence, et notamment dans une décision du 8 janvier 2019 rendue par la chambre criminelle de la Cour de cassation. Cette dernière reprend les critères techniques mis en exergue par les premiers juges :

« (…) lorsque l’huissier constate le contenu d’un site internet, qu’il s’agisse de textes, images, de sons ou de vidéos, il doit respecter un certain nombre d’impératifs techniques : description précise du matériel utilisé, mention de l’adresse IP de la connexion, désactivation de la connexion sans serveur proxy, suppression de l’ensemble des fichiers temporaires stockés sur l’ordinateur ; (…) »

La Cour souligne que ces impératifs techniques « permettent de s’assurer que la connexion s’est établie directement entre l’ordinateur de l’huissier et le site visité et qu’aucun ordinateur ayant pu stocker temporairement des images, n’est venu troubler sa vision ». Autrement dit, ces impératifs garantissent la fiabilité d’un constat sur internet.

Le jugement précité s’appuie également sur ces critères techniques pour invalider un constat établi en l’absence de toute mention relative au serveur proxy. En effet, un serveur proxy peut disposer d’un système de caches permettant notamment d’accéder à des pages web qui n’existent plus à la date des constatations. A ce titre, la Cour de cassation indique dans la décision précitée que la connexion au serveur proxy doit être désactivée et le procès-verbal de constat doit faire état de cette mention.

Le tribunal de commerce estime que le constat ne permet pas d’attester « avec certitude que l’affichage porté à l’écran soit bien d’actualité », ni de rapporter la preuve des dysfonctionnements. Par conséquent, ledit constat est écarté des débats par le tribunal pour défaut de force probante.

Que retenir en matière de recette informatique et de constat en ligne ?

La validation d’un livrable dans le cadre de la phase de recette crée des obligations tant à l’égard du prestataire, qu’à l’égard du client. Ce dernier est tenu de vérifier la conformité du livrable remis aux critères techniques et contractuels convenus avec le prestataire. C’est la raison pour laquelle, une attention particulière doit être portée au procès-verbal de recette.

En cas de difficultés, le recours au constat d’huissier est possible tant pour le client, que pour le prestataire. Les règles techniques dégagées par la jurisprudence devront être scrupuleusement respectées afin qu’il puisse être admis aux débats dans le cadre d’une procédure judiciaire.