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Dessins ou modèles : Quelles conditions de protection ?
2 novembre 2018

Ne divulguez pas votre dessin ou modèle avant d’obtenir une protection au titre du droit des dessins ou modèles comme l’a rappelé le Tribunal de l’Union européenne (ci-après TUE), le 14 mars 2018, sur le dessin des chaussures « Crocs » (T-651/16, Crocs, Inc./EUIPO).

Quel est le domaine de la protection du droit des dessins ou modèles français et communautaires ?

Le titulaire d’un dessin ou modèle peut, en vertu du droit européen, obtenir une protection dans l’ensemble du territoire de l’Union européenne, en déposant une demande auprès de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (ci-après EUIPO) ou uniquement sur le territoire français,  par un dépôt devant l’Institut national de la propriété industrielle (ci-après INPI).

Le droit des dessins et modèles protège « l’apparence d’un produit, ou d’une partie de produit, caractérisée en particulier par ses lignes, ses contours, ses couleurs, sa forme, sa texture ou ses matériaux » (L511-1 du Code la propriété intellectuelle et en substance l’article 3 a) du règlement (CE) n°6/2002 du Conseil du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles communautaires). Les caractéristiques pouvant être celles du produit lui-même ou de son ornementation. Un dessin ou modèle peut être protégé pour une période initiale de cinq ans, prorogeable quatre fois, afin d’atteindre une période maximale de protection de vingt-cinq ans (L513-1 du Code de la propriété intellectuelle et article 12 du règlement n°6/2002).

Un périmètre de protection distinct du droit des brevets : l’exclusion de la protection des caractéristiques de l’apparence d’un produit dictées par sa fonction technique

L’idée qui préside à cette exclusion est que si les caractéristiques sont dictées par la fonction technique du produit, la protection appropriée est le brevet. En effet, ce dernier est le titre de propriété industrielle qui permet de protéger une innovation technique.

Néanmoins, l’appréciation de cette exclusion faisait l’objet de plusieurs approches opposées. Selon une première approche, si des dessins ou modèles alternatifs existent, permettant d’assurer la même fonction technique, alors le dessin ou modèle en cause n’a pas été uniquement imposé par sa fonction technique et n’est donc pas exclu de la protection. Selon une autre thèse, l’exclusion doit être retenue lorsque les caractéristiques de l’apparence du produit sont déterminées uniquement par la nécessité de développer une solution technique en l’absence de considérations esthétiques.

Interrogée sur cette question, la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après CJUE), dans son arrêt du 8 mars 2018, a considéré que rien dans le règlement n°6/2002 ne permet de considérer que l’existence de dessins ou modèles alternatifs est le seul critère. De plus, la CJUE relève que si ce critère était suffisant pour exclure de la protection les caractéristiques d’un produit dictées exclusivement par sa fonction technique, un opérateur économique pourrait faire enregistrer plusieurs formes concevables d’un produit, incorporant des caractéristiques de l’apparence exclusivement imposées par sa fonction technique, et obtenir une protection quasi exclusive et équivalente au brevet.

Dès lors, la Cour considère que pour apprécier cette exclusion, il faut établir que cette fonction est le seul facteur ayant déterminé ces caractéristiques, l’existence de dessins ou modèles alternatifs, ou critère de la multiplicité des formes, n’est pas déterminante à cet égard.

Par ailleurs, afin d’être protégeable, le dessin ou modèle doit être nouveau et avoir un caractère individuel en droit de l’Union européenne ou un caractère propre en droit français (article 4 (1) du règlement n°6/2002 et L511-2 du Code de la propriété intellectuelle).

L’exigence de nouveauté du dessin ou modèle

La condition de nouveauté est remplie en l’absence d’un dessin ou modèle identique antérieurement divulgué c’est-à-dire d’un dessin qui ne diffère que par des détails insignifiants. L’affaire relative au dessin de Crocs constitue une illustration de l’application de cette condition.

Dans le cadre du système de protection des dessins ou modèles, il est permis de déposer une première demande, notamment aux Etats-Unis comme dans l’affaire Crocs, et de revendiquer la priorité de la date de cette demande pour déposer un dessin ou modèle dans l’Union européenne. Concrètement, le demandeur bénéficie de douze mois pour revendiquer la priorité de sa première demande devant l’EUIPO. Toutefois, afin que le dessin ou modèle soit considéré comme nouveau, il ne faut pas que dans les 12 mois précédant la date soit du dépôt de la demande d’enregistrement soit de la date de priorité, le dessin ou modèle ait été divulgué au public.

Dans l’affaire du dessin Crocs, la date de priorité de la demande américaine revendiquée est le 28 mai 2004 et la demande d’enregistrement à l’EUIPO est le 22 novembre 2004, soit moins de douze mois après. Toutefois, les actes de divulgation allégués datent notamment du 25 novembre 2012. Il s’agit d’une date antérieure à la période de douze mois précédant la date d’enregistrement et la date de priorité de la demande américaine revendiquée.

Or, une telle divulgation au public fait perdre au dessin son caractère nouveau sauf si cette dernière ne pouvait « raisonnablement être connue des milieux spécialisés opérant dans l’Union européenne » (article 7 (1) du règlement (CE) n°6/2002).

S’agissant de l’appréciation de cette condition, l’EUIPO, dans sa décision du 6 juin 2016, a considéré qu’il s’agissait des professionnels de la vente et de la fabrication de chaussures. Dans cette affaire, le dessin Crocs était visible sur le site internet de la requérante et le dessin contesté était appliqué sur des sabots exposés au sein d’un salon nautique de Fort Lauderdale (Etats-Unis). De plus, les sabots étaient disponibles à la vente via un distributeur et plusieurs revendeurs identifiés aux Etats-Unis.

Le TUE réaffirme qu’il n’est pas exigé que la divulgation se soit produite sur le territoire de l’Union européenne (arrêt du 13 février 2014, C-479/12). De plus, c’est à la requérante de prouver que les circonstances de l’espèce pouvaient raisonnablement faire obstacle à ce que le fait de divulgation fût connu des milieux spécialisés du secteur dans la pratique normale des affaires. Elle a échoué à rapporter cette preuve. La condition de nouveauté n’est donc pas remplie.

La condition du caractère individuel ou propre du dessin ou modèle

Cette deuxième condition est remplie si l’impression globale que produit le dessin ou modèle sur l’utilisateur averti diffère de celle que produit sur un tel utilisateur tout dessin ou modèle divulgué au public. L’utilisateur se définit comme une personne dotée d’une vigilance particulière, en raison de son expérience personnelle ou de sa connaissance étendue du secteur considéré. Il s’agit d’une condition subjective, qui tiendra compte du souvenir imparfait que l’utilisateur aura conservé en mémoire des dessins ou modèles en cause.

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