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Contrats : comment encadrer l’imprévision ?
14 avril 2017

L’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations a entraîné un certain nombre de bouleversements juridiques que nous évoquions précédemment. Le célèbre arrêt dit du « Canal de craponne » rendu par la Cour de cassation le 6 mars 1876 a été supplantée par un régime légal de l’imprévision défini à l’article 1195 du Code civil. Ce dernier dispose que « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.

En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe. ».

Comment adapter les pratiques contractuelles à cette nouveauté ?

Quel est le mécanisme du régime légal ?

Lorsqu’au cours de l’exécution d’un contrat, un changement de circonstances imprévisible à la conclusion du contrat rend l’exécution de ses obligations excessivement onéreuse pour une partie, elle peut demander une renégociation du contrat.

Elle doit poursuivre l’exécution de ses obligations durant tout le processus décrit ci-dessous :

  • la renégociation est acceptée et les parties se mettent d’accord : le contrat se poursuit selon les nouvelles conditions fixées.
  • la renégociation est refusée ou échoue : soit les parties conviennent de la résolution du contrat soit les parties décident d’un commun accord de demander au juge d’adapter le contrat.
  • en cas de défaut d’accord des parties pour la saisine du juge d’une demande d’adaptation du contrat, l’une des parties peut saisir le juge. Ce dernier pourra réviser le contrat, y mettre fin en prononçant sa résolution ou rejeter la demande d’adaptation.

En l’absence de jurisprudence, il n’est pas possible de savoir précisément quel est le périmètre de l’application du régime légal de l’imprévision. Ainsi, des incertitudes existent tant sur ce qui constituera un changement de circonstances imprévisible que sur la notion d’exécution excessivement onéreuse ou sur les modalités concrètes de la saisine du juge. De plus, il est indiqué que l’imprévisibilité s’apprécie à la conclusion du contrat. Le texte ne dit pas s’il convient de prendre en compte uniquement la signature du contrat initial, ou si en cas de renouvellement tacite, chaque renouvellement du contrat est considéré comme une nouvelle conclusion. Cette distinction peut avoir un impact majeur sur la prise en compte des changements de circonstances. Les premières décisions portant sur l’application de l’article 1195 du Code civil devraient apporter un éclairage bienvenu sur ces questions.

Soulignons en outre que le juge a le pouvoir de résoudre le contrat en cas de litige dû à un changement de circonstances imprévisible. La résolution fait l’objet depuis la réforme d’une sous-section au sein du Code civil.

L’article 1229 du Code civil dispose notamment que les parties peuvent devoir « restituer l’intégralité de ce qu’elles se sont procuré l’une à l’autre. ». Cette restitution peut s’avérer particulièrement complexe. A l’inverse, une résiliation n’a d’effet qu’à compter de son prononcé : ses conséquences sont plus simples à appréhender.

Ce régime légal n’est pas d’ordre public, et peut être encadré voire écarté. Cette option est recommandée par la doctrine, ce qui pousse le professeur Philippe Stoffel-Munck à déclarer que « l’article 1195 jouera alors le rôle de voiture-balais des imprévoyants. ».

Quelles alternatives au régime légal de l’imprévision ?

La solution la plus radicale serait d’écarter purement et simplement le régime légal de l’imprévision.

L’article 1195 du Code civil prévoit en filigrane que si à la conclusion du contrat une partie accepte d’assumer les risques posés par un changement de circonstances imprévisible, elle ne pourra se prévaloir du régime de l’imprévision. En pratique, cela remettra les parties dans la situation de droit antérieur au 1er octobre 2016. Cependant, cela n’est pas sans risque. Il est possible que le juge estime qu’une telle clause crée un déséquilibre significatif entre les parties, tout particulièrement si elle est insérée dans un contrat avec un consommateur ou dans un contrat d’adhésion. Il se peut aussi que le juge interprète strictement de telles clauses et estime qu’un risque non mentionné dans la clause n’a pas été assumé par une partie.

La solution prônée par la doctrine aujourd’hui est d’écarter le régime légal de l’imprévision au profit d’un régime contractuellement défini. De telles clauses ne sont pas nouvelles. La clause qui se rapproche le plus de la notion d’imprévision envisagée par le Code civil est la clause de « hardship« , parfois désignée en français sous le nom de clause de sauvegarde.

Selon l’article 6.2.2. des principes UNIDROIT, « Il y a hardship lorsque surviennent des événements qui altèrent fondamentalement l’équilibre des prestations, soit que le coût de l’exécution des obligations ait augmenté, soit que la valeur de la contre-prestation ait diminué, et

a) que ces événements sont survenus ou ont été connus de la partie lésée après la conclusion du contrat ;

b) que la partie lésée n’a pu, lors de la conclusion du contrat, raisonnablement prendre de tels événements en considération ;

c) que ces événements échappent au contrôle de la partie lésée ;

et d) que le risque de ces événements n’a pas été assumé par la partie lésée. ».

Les clauses de sauvegarde sont fréquentes dans les contrats internationaux. Elles se retrouvent également dans des contrats divers comme des conventions collectives de travail. Le juge admet depuis longtemps la validité de telles clauses. Il est donc a priori possible de les utiliser comme alternative au régime légal de l’imprévision.

D’autres clauses peuvent également être envisagées pour aménager une révision du prix en cas de changement de circonstances spécifiques. On recense notamment les clauses d’adaptation automatique, les clauses d’indexation du prix, les clauses « Material Adverse Change » en matière de cession de titres ou encore les clauses « d’earn out  » pour les achats de sociétés.

Faut-il écarter le régime légal de l’imprévision ?

A l’heure actuelle, cela semble judicieux. Plutôt que d’attendre que le juge clarifie l’interprétation du régime légal, il semble préférable d’écarter le régime légal et d’aménager contractuellement l’imprévision. Le régime légal présente des zones d’ombre synonymes d’insécurité pour les cocontractants et donne au juge un pouvoir sur le contrat lequel peut être défavorable aux parties.

Cette démarche proactive présente l’avantage de pallier la plupart des incertitudes dues à l’absence totale de jurisprudence sur le sujet.