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Quid de la remise aux autorités de clés de chiffrement
12 novembre 2018

Le 30 mars 2018, le Conseil constitutionnel a répondu à une Question Préjudicielle de Constitutionnalité (QPC) concernant la remise aux autorités judiciaires de clés de chiffrement d’un moyen de cryptologie par une personne suspectée dans le cadre d’une procédure pénale.

Pour rappel, l’article 29 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) définit le moyen de cryptologie comme « tout matériel ou logiciel conçu ou modifié pour transformer des données, qu’il s’agisse d’informations, ou de signaux, à l’aide de convention secrètes ou pour réaliser l’opération inverse avec ou sans convention secrètes. Ces moyens de cryptologie ont principalement pour objet de garantir la sécurité du stockage ou de la transmission de données, en permettant d’assurer leur confidentialité, leur authentification ou le contrôle de leur intégrité ».

Quels sont les faits ?

Un individu a été interpellé et placé en garde à vue pour détention d’un produit stupéfiant. Au cours de sa garde à vue, il lui a été demandé de remettre les codes de déverrouillage des téléphones qu’il possédait, ce qu’il a refusé.

Cependant, l’article 434-15-2 du Code pénal sanctionne de trois ans d’emprisonnement et de 270 000€ d’amende « le fait, pour quiconque ayant connaissance de la convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie susceptible d’avoir été utilisé pour préparer, faciliter ou commettre un crime ou un délit, de refuser de la remettre aux autorités judiciaires ou de la mettre en œuvre, sur les réquisitions de ces autorités ». Ces peines sont augmentées à cinq ans d’emprisonnement et à 450 000€ d’amende dans le cas ou le refus est opposé alors que la mise en œuvre de la convention aurait permis d’éviter la commission d’un crime ou d’un délit ou d’en limiter les effets.

Le refus du gardé à vue de remettre les clés de déchiffrement permettant d’accéder aux données des smartphones en sa possession a donc entraîné des poursuites à son encontre sur le fondement de l’article 434-15-2 du Code pénal. Devant le Tribunal de Grande Instance de Créteil, les avocats de la défense ont soumis une QPC à l’attention du Conseil constitutionnel. Cette question a été transmise à la Cour de cassation afin que celle-ci constate son caractère nouveau et sérieux (condition de recevabilité d’une QPC). Ce que la Cour a fait dans un arrêt du 10 janvier 2018, renvoyant ainsi la question au Conseil constitutionnel.

Quelle était la question posée au Conseil constitutionnel ?

D’après le requérant, les dispositions de l’article 434-15-2 du Code pénal porteraient atteinte principalement au droit au silence et au droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination. Dès lors, ces dispositions s’opposeraient ainsi au droit à une procédure juste et équitable garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) de 1789 et au principe de présomption d’innocence garanti par l’article 9 de cette même Déclaration. Les dispositions attaquées violeraient également le droit au respect de la vie privée, le secret des correspondances, les droits de la défense, le principe de proportionnalité des peines et la liberté d’expression.

Au centre des débats se trouvait donc le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination. Ce droit, sans fondement textuel en droit interne, a notamment été consacré par la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) sur le fondement de l’article 6 de la CESDH. La Cour associe ce principe au principe de la présomption d’innocence qui interdit à l’accusation de recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions au mépris de la volonté de l’accusé (CEDH 25 février 1993 Funke c/France). Cette solution est désormais reprise par la Cour de cassation, également sur le fondement de l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (Crim. 7 janv. 2014, no 13-85.246).

La question posée au Conseil constitutionnel était donc de déterminer si les dispositions de l’article 434-15-2 du Code pénal étaient contraires aux différents droits et libertés énoncés ci-dessus.

Quelle est la décision du Conseil constitutionnel et son raisonnement ?

Dans sa décision QPC du 30 mars 2018, le Conseil constitutionnel que « les dispositions contestées ne portent pas atteinte au droit de ne pas s’accuser ni au droit au respect de la vie privée et au secret des correspondances », et que ces dispositions ne méconnaissent pas non plus « les droits de la défense, le principe de proportionnalité des peines et la liberté d’expression, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit » et doit donc être déclaré conforme à la Constitution.

En premier lieu, il met en avant le fait que le législateur en adoptant l’article 434-15-2 du Code pénal n’a fait que poursuivre les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des infractions et de recherche des auteurs d’infractions. Le Conseil estime que le législateur est resté dans les limites de ces deux objectifs de valeur constitutionnel puisque ces dispositions valent uniquement :

  • si le moyen de cryptologie en question est susceptible d’avoir été utilisé pour préparer, faciliter, ou commettre un crime ou un délit;
  • si la demande émane d’une autorité judiciaire.

En second lieu, il souligne que les dispositions critiquées imposent à la personne suspectée, de délivrer ou de mettre en œuvre la convention secrète de déchiffrement si il est démontré qu’elle en a connaissance. Les juges en déduisent que les dispositions de l’article 434-15-2 du Code pénal n’ont pas pour objet d’obtenir des aveux de la personne suspectées et n’emportent ni reconnaissance, ni présomption de culpabilité, mais permettent seulement le déchiffrement des données cryptées.