Au cours des missions qu’un stagiaire est amené à effectuer dans sa structure d’accueil, il peut créer des éléments susceptibles d’être protégés par des droits de propriété intellectuelle.
Que deviennent les droits de propriété intellectuelle portant sur les créations réalisées par un stagiaire au cours des missions qui lui sont confiées par sa structure d’accueil ? Sont-ils cédés à l’établissement scolaire ou universitaire ? Restent-ils la propriété du stagiaire ? Ou bien sont-ils cédés à l’organisme d’accueil ?
Les stagiaires étaient jusqu’à récemment exclus des régimes de dévolution légale des droits de propriété intellectuelle applicables, sous conditions, aux salariés auteurs de logiciels ou d’inventions et aux fonctionnaires pour tout type de création.

L’ordonnance n°2021-1658 du 15 décembre 2021, prise en application de la loi du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030, modifie le régime applicable aux actifs obtenus par des auteurs de logiciels ou inventeurs non-salariés ni agents publics accueillis par une personne morale réalisant de la recherche.
Cette ordonnance est l’occasion de revenir sur les modalités d’encadrement des créations des stagiaires et les points de vigilance concernant le dévolution ou la cession des droits de propriété intellectuelle à l’organisme d’accueil.
Régime de dévolution des droits patrimoniaux du stagiaire créateur de logiciels et inventeur
- Champ d’application
L’ordonnance du 15 décembre 2021 crée un régime de dévolution des droits de propriété intellectuelle des personnes physiques qui ne sont pas titulaires d’un contrat de travail ou du statut d’agent public, notamment les stagiaires, sur les logiciels et leur documentation, ainsi que sur les inventions.
Pour les stagiaires créateurs de logiciels, l’ordonnance aligne leur régime sur celui des salariés créateurs de logiciels (article L.113-9 du Code de la propriété intellectuelle).
Concernant les inventions, l’ordonnance applique le régime des inventeurs salariés aux inventeurs stagiaires (article L.611-7 du Code de la propriété intellectuelle).
En revanche, il convient de noter que la dévolution des droits ne peut être réalisée que dans le cadre d’une convention avec une personne morale de droit privé ou de droit public réalisant de la recherche. A cet égard, l’ordonnance ne définit pas cette notion. Elle ne renvoie pas non plus aux dispositions relatives aux établissements et organismes de recherche figurant dans le Code de la recherche. De ce fait, une incertitude demeure sur le périmètre des entités pouvant bénéficier de cette dévolution des droits.
Ainsi, pourraient bénéficier de ce nouveau cadre juridique les universités publiques, ainsi que des entreprises bénéficiant du dispositif Cifre (Conventions industrielles de formation par la recherche).
- Stagiaires créateurs de logiciels
Le nouvel article L.113-9-1 du Code de la propriété intellectuelle crée un régime de dévolution des droits de propriété intellectuelle des stagiaires sur les logiciels et leur documentation, au bénéfice de leur structure d’accueil.
En revanche, la dévolution automatique est applicable sous conditions :
- Les logiciels doivent être réalisés dans l’exercice des missions du stagiaire ou d’après les instructions de la structure d’accueil,
- Le stagiaire doit percevoir une contrepartie, qui peut être financière et/ou matérielle, comme l’a précisé le Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance précitée,
- Le stagiaire doit être placé sous l’autorité de la structure d’accueil.
Il convient de noter qu’en cas de litige, la compétence juridictionnelle est attribuée au tribunal judiciaire du siège social de la structure d’accueil.
- Stagiaires inventeurs
Le nouvel article L.611-7-1 du Code de la propriété intellectuelle encadre la dévolution des droits de propriété industrielle des stagiaires sur leurs inventions, au bénéficie de leur structure d’accueil, à l’instar du régime applicable aux inventions salariées.
A ce titre, les conditions applicables à la dévolution sont les suivantes :
- Le stagiaire doit bénéficier d’une « convention comportant une mission inventive qui correspond à ses missions effectives, soit d’études et de recherches qui lui sont explicitement confiées »,
- L’invention doit être réalisée par le stagiaire soit « a) dans l’exécution de ses missions et activités ; b) soit le domaine des activités confiées par cette personne morale ; c) Soit par la connaissance ou l’utilisation des techniques ou de moyens spécifiques à cette personne morale, ou de données procurées par celle-ci »,
- Le stagiaire inventeur doit pouvoir bénéficier « d’un juste prix » au titre de la dévolution des droits de propriété industrielle.
De manière générale, tant l’inventeur que la structure d’accueil doivent s’abstenir de toute divulgation de nature à compromettre l’exercice des droits sur l’invention.
Encadrement par une cession des droits de propriété intellectuelle
Il convient de noter que les règles applicables aux droits d’auteur des stagiaires hors logiciels demeurent inchangées.
Compte tenu de l’incertitude quant à la notion de structure réalisant de la recherche, il convient de rester vigilant sur la rédaction de la convention de stage et le cas échéant, prévoir une clause dédiée à la cession des droits.
- Formalisme de la cession
Pour rappel, l’article L. 111-1, alinéa 1 du Code de la propriété intellectuelle dispose expressément que l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Dans son alinéa 3, ce même article précise que « l’existence ou la conclusion d’un contrat de louage d’ouvrage ou de service par l’auteur d’une œuvre de l’esprit n’emporte pas dérogation à la jouissance du droit reconnu par le premier alinéa ».
De plus, rappelons que conformément à l’article L.131-3 du Code de la propriété intellectuelle, la cession de tout ou partie des droits d’exploitation d’une œuvre est soumise au respect d’un formalisme strict. Chacun des droits cédés doit faire l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession, et le domaine d’exploitation des droits cédés doit être délimité « quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée » (article L.131-3 du Code de la propriété intellectuelle, alinéa 1er).
En d’autres termes, ce n’est pas parce que vous rémunérez votre stagiaire que vous devenez automatiquement titulaire des droits de propriété intellectuelle portant sur ses créations. S’il s’agit d’un stage non rémunéré, ce n’est pas parce que vous avez formé votre stagiaire et qu’il a bénéficié de vos savoirs que vous devenez automatiquement titulaire des droits de propriété intellectuelle portant sur ses créations.
- Formalisme de la convention de stage
Avez-vous déjà lu avec attention la convention de stage tripartite que vous signez lorsque vous accueillez un stagiaire ? Le sort des droits de propriété intellectuelle y est-il évoqué ?
Afin de bénéficier des droits de propriété intellectuelle sur les créations d’un stagiaire, la convention de stage doit répondre aux exigences de formalisme requises par l’article L.131-3 du Code de la propriété intellectuelle.
A défaut, la convention ne peut être interprétée comme un contrat de cession des droits d’auteur du stagiaire au profit de l’organisme d’accueil (CA Paris, 4e ch. B, 7 octobre 2005, N° 04/18442).
- Une contrepartie financière à la cession, mais laquelle ?
Lorsqu’une cession de droit est conclue à titre onéreux, le contrat doit comprendre soit une « participation proportionnelle aux recettes provenant de la vente ou de l’exploitation » de la création cédée, soit une rémunération forfaitaire dans certaines hypothèses (article L.131-4 du Code de la propriété intellectuelle).
Néanmoins, il existe une insécurité juridique relative à la contrepartie financière versée au stagiaire. Les tribunaux pourraient en effet estimer, au regard de l’exploitation d’un brevet par exemple, que la contrepartie financière est dérisoire. Si tel est le cas, le stagiaire pourrait éventuellement demander une rémunération complémentaire, après expertise judiciaire, basée sur le profit retiré par l’entreprise de l’exploitation dudit brevet.
Pensez à l’accord de confidentialité
De plus, avant toute signature d’une convention de stage, il est conseillé de faire signer au stagiaire un accord de confidentialité. Si la création n’est protégée par aucun droit de propriété intellectuelle, il conviendra d’encadrer les modalités de sa divulgation ou bien d’en conserver le secret. Il sera donc nécessaire d’insérer une clause de confidentialité dans la convention de stage, adaptée à l’activité de votre organisme.
Toutefois, l’obligation de confidentialité n’empêchera pas l’étudiant de publier, par exemple, un mémoire ou une thèse, mais des conditions de divulgation restreinte peuvent être appliquées pour protéger votre patrimoine informationnel et vos informations pouvant être qualifiées de secret des affaires au sens de la loi en vigueur. Par exemple, il pourra être exigé du stagiaire que sa soutenance de mémoire ait lieu à huis clos, qu’il accorde à sa structure d’accueil un droit de regard sur ses travaux, qu’un délai soit institué pour retarder la publication, etc.
A l’instar de tout contrat, une convention de stage peut être amendée afin de préserver les actifs de l’organisme.