Le Conseil constitutionnel a été saisi suite à l’adoption par le Sénat et l’Assemblée nationale de la Loi n° 2025-315 du 15 avril 2025 relative au renforcement de la sûreté dans les transports. Cette loi vise à conférer de nouveaux pouvoirs aux agents de sécurité des opérateurs publics et privés (SNCF, RATP, agents privés) et introduit plusieurs dispositifs technologiques, notamment des outils de vidéoprotection, de captation sonore, de caméras embarquées, ainsi que des systèmes de traitement algorithmique des images (souvent désignés sous l’appellation de caméras augmentées).
Certaines mesures ont suscité des interrogations quant à leur compatibilité avec les principes constitutionnels, en particulier le droit au respect de la vie privée et le principe de non-délégation de la force publique à des personnes privées (respectivement articles 2 et 12 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789).
Suite à la décision n° 2025-878 DC du Conseil constitutionnel, en date du 24 avril 2025, la loi n° 2025-379 du 28 avril 2025 relative au renforcement de la sûreté dans les transports a été publiée au Journal officiel le 29 avril 2025.
Quelles sont les principales dispositions validées par le Conseil constitutionnel et celles qui ont été censurées ? Que retenir ?

Les dispositions relatives à la vidéoprotection validées par le Conseil constitutionnel
Elles sont de plusieurs ordres :
1.Le visionnage des images de vidéoprotection par des agents d’Île-de-France Mobilités (article 9 de la loi)
Le Conseil constitutionnel a souligné que les garanties d’encadrement de ce dispositif de vidéoprotection étaient suffisantes : habilitations nominatives, décret en Conseil d’État précisant les conditions techniques, contrôle de la CNIL, traçabilité des accès et durée limitée de conservation des données. Ces éléments permettent de préserver l’équilibre entre la finalité de sécurité publique et la protection de la vie privée.
Le Conseil a validé la disposition permettant à certains agents d’Île-de-France Mobilités, dûment habilités, de visionner en temps réel des images issues de systèmes de vidéoprotection depuis les salles d’information et de commandement relevant de l’État. Ce visionnage ne peut s’effectuer qu’en présence et sous le contrôle effectif des forces de sécurité intérieure, à des fins de prévention de la délinquance et de sécurisation des réseaux.
2.L’usage de caméras individuelles par les conducteurs de bus et autocars (article 11)
L’article 11 autorise, à titre expérimental, l’usage de caméras embarquées individuelles par les conducteurs de bus ou d’autocar, afin de procéder à des enregistrements ponctuels en cas d’incident ou de risque avéré.
Le Conseil constitutionnel a validé ce recours à des dispositifs de captation visuelle pour les motifs suivants :
- le déclenchement conditionné par des circonstances objectivement identifiables,
- une captation strictement interne au véhicule,
- un effacement automatique sous 30 jours (hors procédures),
- et une absence d’accès direct aux images par les conducteurs.
3.La captation sonore en temps réel dans les bus (article 16)
Ce dispositif expérimental autorise, dans certaines circonstances, la captation et la transmission du son, sans enregistrement, depuis l’environnement immédiat du conducteur lorsqu’il est menacé.
La captation est déclenchée par le conducteur lui-même, dans des situations de danger et elle est strictement limitée dans le temps et l’espace. Une information sonore du public est prévue, sauf si les circonstances l’interdisent.
Le Conseil constitutionnel a notamment relevé que cette captation :
- est déclenchée exclusivement par le conducteur en cas de menace ;
- ne donne lieu à aucune conservation de données ;
- est limitée dans sa durée et sa portée ;
- est accompagnée d’une information sonore du public, sauf urgence.
Le Conseil constitutionnel considère que cette mesure poursuit un objectif légitime (la protection des conducteurs), que les atteintes à la vie privée sont limitées, encadrées et non disproportionnées ; et que le traitement des données respecte les exigences du RGPD et de la loi de 1978.
4.La captation par caméras frontales embarquées sur les transports guidés urbains (article 14)
Autorisé également à titre expérimental et pour une durée de trois ans, ce dispositif permet la captation d’images par caméras frontales embarquées sur les véhicules de transport guidé urbain (tels que les tramways et métros) et ce, à des fins de formation du personnel et d’analyse d’accidents.
Le Conseil constitutionnel a ici subordonné la conformité de cette disposition à une réserve d’interprétation : la captation doit se limiter aux abords immédiats du véhicule, à l’exclusion de toute surveillance généralisée de la voie publique. La mesure est encadrée par un décret à venir, une signalétique d’information est obligatoire et les enregistrements doivent être effacés au bout de 30 jours.
Les dispositions relatives à la vidéoprotection censurées par le Conseil constitutionnel
Elles concernant, d’une part, les caméras embarquées dans les transports scolaires à Mayotte, pour filmer en continu sur la voie publique et, d’autre part, la prorogation du traitement algorithmique de vidéoprotection.
1.Les caméras embarquées dans les transports scolaires à Mayotte (article 13)
Plusieurs griefs ont été retenus par le Conseil constitutionnel, les principaux étant les suivants :
- le déclenchement des caméras n’est pas conditionné à un incident où à la circonstance selon laquelle un incident est susceptible de se produire. « Ce faisant, le législateur a autorisé un usage généralisé de dispositifs mobiles captant l’image d’un grand nombre d’individus, y compris de mineurs, sans encadrer la durée de leur mise en œuvre ».
- insuffisance des garanties encadrant l’accès, la transmission et la conservation des données.
- manquement au principe de non-délégation de la force publique à des personnes privées (article 12 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789)
2.La prorogation du traitement algorithmique de vidéoprotection (article 15)
La loi du 19 mai 2023 relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, dite « Loi JOP 2024 » autorisait, sous certaines conditions, le traitement algorithmique d’images de vidéoprotection captées lors de grands événements, à des fins de détection automatisée de risques (notamment mouvements de foule et objets abandonnés). Cette expérimentation a pris fin le 31 mars 2025.
Pour rappel, les modalités d’application de la loi JOP 2024 ont été précisées par le décret n° 2023-828 du 28 août 2023 relatif aux modalités de mise en œuvre des traitements algorithmiques sur les images collectées au moyen de systèmes de vidéoprotection et de caméras installées sur des aéronefs.
L’article 3 de ce décret prévoit huit cas d’usage:
- présence d’objets abandonnés ;*
- présence ou utilisation d’armes, parmi celles mentionnées à l’article R. 311-2 du code de la sécurité intérieure ;
- non-respect par une personne ou un véhicule, du sens de circulation commun ;
- franchissement ou présence d’une personne ou d’un véhicule dans une zone interdite ou sensible ;
- présence d’une personne au sol à la suite d’une chute ;
- mouvement de foule ;
- densité trop importante de personnes ;
- départs de feux.
L’article 15 de la loi sur laquelle le Conseil constitutionnel a eu à se prononcer prévoyait de proroger l’expérimentation jusqu’au 1er mars 2027.
Le Conseil constitutionnel a considéré que « ces dispositions, qui visent à proroger une expérimentation permettant le traitement algorithmique d’images collectées lors de manifestations sportives, récréatives ou culturelles, pour détecter en temps réel la survenance d’un risque et permettre la mise en œuvre des mesures nécessaires, ne présentent pas de lien, même indirect » avec la proposition de loi initiale portant spécifiquement sur la sûreté dans les transports.
Il a ainsi décidé de censurer ces dispositions en raison de leur absence de lien avec le texte initial (méconnaissance de l’article 45 de la Constitution qui interdit le recours à une disposition, dite « cavalier législatif »).
Il est à noter que lors du Conseil des ministres en date du 15 mai 2025, la ministre des Sports, de la Jeunesse et de la Vie associative a présenté un projet de loi relatif à l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques 2030. Ce projet de loi, qui a été déposé au Sénat, prévoit de prolonger jusqu’au 31 décembre 2027 l’expérimentation qui avait été mise en œuvre dans le cadre de la loi relative au jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 (voir article 35 du projet de loi). L’examen de ce texte à l’Assemblée nationale et au Sénat sera suivi avec attention.
En conclusion, que retenir de la décision du Conseil constitutionnel ?
Cette décision est l’occasion de rappeler que les dispositifs de vidéoprotection dans l’espace public, caméras augmentées et captation sonore, ne peuvent être mis en œuvre que dans le respect de leur finalité précisément définie et ne sauraient conduire à une forme de surveillance généralisée de l’espace public, ni à un transfert excessif de prérogatives de puissance publique à des personnes privées.
Cela invite les acteurs du secteur à une vigilance particulière quant aux conditions de déploiement de ces technologies et aux garanties y afférentes. Il convient notamment d’accorder une attention particulière :
- à la délimitation géographique et temporelle des captations autorisées,
- à la traçabilité et la sécurisation des accès aux données collectées, ainsi
- qu’au strict respect des règles relatives à la protection des données personnelles (RGPD, loi de 1978), notamment les principes de nécessité, minimisation, transparence, etc.
Dans cette perspective, la conformité juridique de tels dispositifs doit être garantie à toutes les étapes : non seulement en amont de leur installation, mais également dans le cadre de leur exploitation continue et de leur évaluation régulière.
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