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Liberté des médias dans l’UE : que retenir ?
24 janvier 2023

Le 16 septembre 2022, la Commission européenne a publié une proposition de règlement établissant un cadre commun pour les services de médias dans le marché intérieur, et modifiant la directive 2010/13/UE. Ce nouveau texte a vocation à promouvoir le pluralisme et l’indépendance des médias au sein de l’Union européenne (UE).

Cette proposition de règlement est assortie d’une recommandation. Celle-ci recense une série de bonnes pratiques à l’intention des entreprises de médias, depuis les conditions de création indépendante de contenus éditoriaux, jusqu’aux stratégies visant à garantir la stabilité de la production de contenus d’informations.

Ces deux textes se sont inspirés des résultats de la consultation publique ouverte, lancée par la Commission le 10 janvier 2022. Cette consultation avait pour objectif, d’une part, de recueillir le point de vue des parties intéressées sur les problèmes actuels liés à la liberté et au pluralisme des médias. D’autre part, elle cherchait à collecter des éléments et des données objectifs sous-jacents aux problèmes identifiés.

médias

Quel est le contexte ?

Souvent qualifiés de « quatrième pouvoir », les médias représentent la clef de voûte de la démocratie. En permettant aux citoyens et aux entreprises d’avoir quotidiennement accès à de multiples sources d’informations, les médias participent à la sphère publique, et à l’opinion que se forge le public.

Cependant, les médias doivent aujourd’hui affronter diverses ingérences -notamment politiques-. Leur liberté et leur indépendance se trouvent menacées.

Il est alors apparu comme nécessaire -voire urgent- de prévoir un cadre législatif commun aux Etats membres de l’UE afin de promouvoir un pluralisme de médias libres et indépendants au sein du marché européen.

C’est pourquoi, dans son discours de septembre 2021 sur l’Etat de l’Union, Ursula Von Der Leyen, Présidente de la Commission, affirme « L’information est un bien public. Nous devons défendre celles et ceux qui nous éclairent. (…) Les médias ne sont pas des entreprises comme les autres. Leur indépendance est essentielle. Voilà pourquoi l’Europe a besoin d’une loi qui garantisse cette indépendance. L’année prochaine, nous présenterons précisément une telle loi sur la liberté des médias. Parce que, quand nous défendons la liberté de nos médias, c’est aussi notre démocratie que nous défendons. »

Cette proposition s’inscrit dans la volonté de l’UE de favoriser la participation démocratique, de lutter contre la désinformation, et ainsi, de soutenir la liberté des médias.

Précisons que ce projet de règlement s’appuie sur la législation sur les services numériques (DSA) et sur la législation sur les marchés numériques (DMA). Il complète la recommandation concernant la protection, la sécurité et le renforcement des moyens d’action des journalistes, adoptée récemment, et la directive sur la protection des journalistes et des défenseurs des droits contre les recours abusifs (paquet législatif contre les poursuites-bâillons).

Quels sont les objectifs visés pour garantir la liberté des médias dans l’UE ? Quelles sont les obligations envisagées pour y répondre ?

Tout d’abord, la législation renforcera la liberté éditoriale des fournisseurs de services de médias. Elle imposera aux Etats-membres de respecter rigoureusement cette liberté, en leur interdisant notamment de s’immiscer dans les politiques de décisions éditoriales de ces fournisseurs, ou de tenter de les influencer. Il sera aussi prohibé aux Etats membres de placer en détention, de sanctionner, de soumettre à une surveillance ou à une saisie ces médias, aux motifs qu’ils refusent de divulguer des informations sur leurs sources (sauf raison impérieuse d’intérêt général). Globalement, cette législation protégera ces entreprises de médias face à d’éventuelles mesures nationales injustifiées, disproportionnées ou discriminatoires relatives à leur liberté éditoriale.  

Plus spécifiquement, ce texte accordera une importance particulière aux médias de service public, dont l’indépendance est mise à mal aujourd’hui. En effet, en raison de leur source de financement, ces médias font bien souvent l’objet d’ingérences politiques. Pour cette raison, le texte imposera que ces médias disposent de financements suffisants et stables pour l’accomplissement de leur mission de service public. En outre, la direction et le conseil d’administration des médias de service public devront être nommés dans la transparence et la non-discrimination.

Par ailleurs, ce règlement luttera contre l’espionnage. Pour cela, il interdira formellement l’utilisation de tous logiciels espions contre les médias, les journalistes, mais aussi contre les membres de leurs familles. Des exceptions relatives à la sécurité nationale ou à des enquêtes sur des infractions pénales graves seront prévues, mais strictement encadrées.

Rajoutons à cela que le règlement reviendra sur l’importance d’encadrer la « publicité d’Etat ». A ce stade, le texte définit la « publicité d’Etat » comme « le placement, la publication ou la diffusion, dans tout service de médias, d’un message promotionnel ou d’autopromotion, normalement contre rémunération ou toute autre contrepartie, par ou pour une autorité publique nationale ou régionale, ou au nom de celle-ci (…). » Le texte imposerait que tous fonds publics (ou avantage de tout ordre) accordés par les autorités publiques aux fournisseurs de services de médias à des fins publicitaires soient octroyés de façon transparente, objective, proportionnée et non discriminatoire. En outre, les autorités publiques devront mettre à la disposition du public des informations précises, complètes, intelligibles, détaillées et annuelles sur les dépenses publicitaires qu’ils ont allouées.

Concernant la protection des contenus médiatiques en ligne, la législation offrira une protection supplémentaire contre le retrait injustifié, par les très grandes plateformes en ligne (plus de 45 millions d’utilisateurs dans l’UE), de contenus médiatiques produits conformément aux normes professionnelles. A titre d’exemple, elles devront prendre toutes les mesures possibles pour justifier de la suspension de contenus aux fournisseurs de services de médias, avant que la suspension ne prenne effet.

En l’absence de risque systémique (désinformation), les grandes plateformes en ligne devront justifier de leur volonté de supprimer des contenus de médias licites qu’elles jugent contraires à leur politique.

Quel nouveau droit pour l’utilisateur ?

L’utilisateur disposera d’un droit de personnalisation de l’offre de médias audiovisuels en fonction de ses intérêts et de ses préférences. Il pourra modifier les paramètres par défaut de tout appareil ou toute interface utilisateur contrôlant ou gérant l’accès des services de médias audiovisuels.

Ainsi, lorsque des appareils et interfaces utilisateur seront mis sur le marché, les fabricants et les développeurs devront veiller à ce que les utilisateurs puissent aisément modifier leurs paramètres par défaut, et ainsi exercer leur droit de personnalisation.

Quel organe pour promouvoir ce nouveau texte ?

La Commission souhaite instituer un nouveau comité européen pour les services de médias, composé d’autorités nationales chargées des médias. Il se substituera et succèdera au groupe des régulateurs européens pour les services de médias audiovisuels (ERGA), institué par la directive 2010/13/UE.

En tant qu’instance indépendante, il devra promouvoir l’application effective et cohérente de ce règlement. Pour cela, il devra  fournir des conseils d’experts sur les aspects réglementaires, techniques, ou pratiques de la régulation des médias,  promouvoir la coopération et l’échange efficace d’informations, d’expériences et de bonnes pratiques entre les autorités nationales, assister la Commission dans l’élaboration de nouvelles lignes directrices concernant la réglementation des médias, et promouvoir la coopération et l’échange efficace d’informations et d’expériences entre les autorités nationales de régulation des médias.

Quelles sont les recommandations du CEPD ?

Le 22 décembre 2022, le Contrôleur européen de la protection des données (CEPD) a émis un avis sur ce projet de règlement, et a formulé différentes recommandations.

En premier lieu, le CEPD préconise de clarifier le champ d’application – matériel et personnel – du futur règlement. En effet, bien que ce texte ait vocation à édicter des règles pour protéger les journalistes et le secret de leurs sources, le champ d’application n’inclut que les fournisseurs de services de médias, sans englober tous les journalistes. De surcroît, il recommande de clarifier les critères permettant de déterminer quand un journaliste relève de la compétence d’un Etat membre.

En deuxième lieu, le CEPD remet en question l’efficacité « pratique » des mesures proposées par la Commission pour garantir la liberté et le pluralisme des médias. Il précise notamment que les exceptions à l’interdiction d’intercepter ou de surveiller les fournisseurs de services de médias, notamment en déployant des logiciels espions sur leurs appareils, ne fournissent pas suffisamment de garanties, et manquent de clarté juridique. Il indique que la seule solution viable pour protéger les droits fondamentaux au sein de l’Union contre les logiciels espions très avancés, est de fixer une interdiction générale de leur développement. Seule la fixation d’exceptions très limitées et exhaustivement définies seraient efficaces, et suffisamment garantes des droits fondamentaux.

Enfin, concernant l’autorité ou l’organisme indépendant chargé d’examiner les plaintes concernant les violations des droits des fournisseurs (article 4, paragraphe 2, points b) et c)), le CEPD préconise que le futur règlement établisse explicitement des garanties spécifiques d’indépendance, et fournisse une base juridique explicite pour la coopération entre les autorités de contrôle concernées. 

Quelles sont les prochaines étapes ?

Le Conseil et le Parlement européen vont désormais examiner la proposition de la Commission. Ils pourront y faire des modifications, avant d’adopter un texte définitif. L’avis du CEPD les aiguillera.

Une fois adopté, le règlement sera directement applicable dans tous les Etats membres. La majorité des dispositions devront être appliquées à compter de 6 mois après l’entrée en vigueur du règlement. Celles relatives au Comité européen des services de médias s’appliqueront, quant à elles, trois mois après l’entrée en vigueur du règlement.

Mathias Avocats vous tiendra informé des prochaines évolutions.