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Violation de licence de logiciel : quelle action engager ?
29 janvier 2020

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a énoncé que la violation d’une stipulation d’un contrat de licence de logiciel portant sur les droits de propriété intellectuelle est susceptible d’une action en contrefaçon (CJUE, 5ème ch., 18 décembre 2019, Aff. C-666/18, IT Development SAS contre Free Mobile SAS).

En présence d’un contrat de licence de logiciel, un éditeur peut donc agir soit en contrefaçon, soit en responsabilité contractuelle suivant la stipulation violée par le licencié.

Quels étaient les faits soumis à la CJUE ?

Par un contrat du 25 août 2010, modifié en 2012, la société IT Development a consenti à la société Free Mobile une licence et un contrat de maintenance portant sur un logiciel de gestion de projet centralisé.

L’article 6 du contrat de licence intitulé « Étendue de la licence » stipulait que « En tout état de cause, le Client s’interdit expressément (…) de : reproduire, directement ou indirectement, le Progiciel (…) à l’exception des copies de sauvegarde ;  décompiler et/ou effectuer des opérations de rétro ingénierie sur le Progiciel, sauf exceptions légales ; modifier, de corriger, d’adapter, de créer des œuvres secondes et d’adjonction, directement ou indirectement, relativement au Progiciel, étant entendu que le Client aura néanmoins librement accès en lecture à la base de données. (…)« .

Quelle a été la procédure ?

Au cours de l’exécution du contrat, l’éditeur a fait procéder à une saisie contrefaçon dans les locaux d’un sous-traitant de la société licenciée.

Arguant de modifications apportées au logiciel en violation du contrat de licence notamment par la création de nouveaux formulaires, l’éditeur a fait citer la société licenciée en contrefaçon de logiciel et en indemnisation de son préjudice devant le Tribunal de grande instance de Paris en juin 2015.

Par un jugement du 6 janvier 2017, le Tribunal de grande instance de Paris a débouté l’éditeur de son action en contrefaçon (TGI de Paris, 3ème ch., 6 janvier 2017, n°15/09391). Pour motiver sa décision, le Tribunal de grande instance de Paris avait retenu que la combinaison des articles L122-6 et L122-6-1 du Code de la propriété intellectuelle conduisait à reconnaître deux régimes distincts de responsabilité :

  • l’un délictuel en cas d’atteinte aux droits d’exploitation de l’auteur du logiciel,
  • l’autre contractuel, en cas d’atteinte à un droit de l’auteur réservé par contrat.

En l’espèce, le Tribunal avait considéré que l’éditeur reprochait à son licencié une violation du contrat de licence, soit des manquements contractuels relevant d’une action en responsabilité contractuelle. A ce titre, les juges avaient estimé que l’action en contrefaçon devait être déclarée irrecevable.

L’éditeur a alors interjeté appel du jugement. Il sollicitait d’abord que la Cour d’appel de Paris soumette une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne, puis que le jugement de première instance soit infirmé.

Par un arrêt rendu le 16 octobre 2018, la Cour d’appel de Paris a décidé de surseoir à statuer et de poser la question préjudicielle soumise par l’éditeur à la CJUE (CA Paris, Pôle 05, ch. 01, 16 octobre 2018, n°17/02679).

Quelle était la question préjudicielle posée à la CJUE ?

La question préjudicielle formulée par l’éditeur, soumise par la Cour d’appel de Paris à la CJUE, était rédigée dans les termes suivants :

« Le fait pour un licencié de logiciel de ne pas respecter les termes d’un contrat de licence de logiciel (par expiration d’une période d’essai, dépassement du nombre d’utilisateurs autorisés ou d’une autre unité de mesure, comme les processeurs pouvant être utilisés pour faire exécuter les instructions du logiciel, ou par modification du code source du logiciel lorsque la licence réserve ce droit au titulaire initial) constitue-t-il :
– une contrefaçon (au sens de la directive 2004/48 du 29 avril 2004) subie par le titulaire du droit d’auteur du logiciel réservé par l’article 4 de la directive 2009/24/CE du 23 avril 2009 concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur
– ou bien peut-il obéir à un régime juridique distinct, comme le régime de la responsabilité contractuelle de droit commun ? ».

Pour motiver la saisine de la CJUE, la Cour d’appel de Paris a rappelé qu’il existe en droit français un principe de non-cumul. En vertu de ce principe, une personne physique ou morale ne peut pas voir sa responsabilité contractuelle et sa responsabilité délictuelle engagées pour les mêmes faits. Classiquement, la responsabilité délictuelle est écartée au profit de la responsabilité contractuelle dès lors qu’un contrat lie les parties et que le dommage subi résulte d’une inexécution ou d’une mauvaise exécution d’une obligation contractuelle.

La Cour d’appel relève en outre que la contrefaçon se définit comme une atteinte à un droit de propriété intellectuelle. Appliquée au logiciel, la contrefaçon se définit donc comme la violation de l’un des droits reconnus à l’auteur d’un logiciel tels qu’ils sont prévus par l’article L122-6 du Code de la propriété intellectuelle. Toutefois, la Cour d’appel souligne qu’il n’y a pas, en droit français, de textes réservant l’action en contrefaçon aux seules hypothèses où il n’y pas de contrat de licence.

Quelle est la solution retenue par la CJUE ?

Selon la CJUE, la violation d’une clause d’un contrat de licence de logiciel portant sur les droits de propriété intellectuelle du titulaire desdits droits relève de la notion d’atteinte aux droits de propriété intellectuelle au sens de la directive 2004/48 relative au respect des droits de propriété intellectuelle. En conséquence, le titulaire des droits doit pouvoir bénéficier de la protection et des garanties accordées par cette directive.

La motivation de la Cour repose sur deux principaux éléments. D’une part, au regard de l’article 4 de la directive sur la protection des programmes d’ordinateur, le droit d’interdire la modification du code source d’un logiciel est attaché aux droits de propriété intellectuelle dont l’auteur du logiciel est titulaire. En outre, la protection accordée par la directive n’est pas conditionnée à ce que l’atteinte aux droits de propriété intellectuelle trouve ou non son origine dans la violation d’un contrat de licence.

D’autre part, la directive sur la protection des droits de propriété intellectuelle s’applique à toutes atteintes auxdits droits. Ainsi, il résulte de cette formulation extensive que les atteintes résultant d’un manquement à une clause contractuelle relative à l’exploitation d’un droit de propriété intellectuelle dont l’auteur d’un logiciel est titulaire sont aussi couvertes.

En conséquence, tout titulaire de droits de propriété intellectuelle sur un logiciel est fondé à demander réparation et l’application de mesures de protection en cas atteinte à l’un de ses droits. L’action en contrefaçon est l’un des moyens à la disposition du titulaire des droits. Cette faculté n’est pas limitée selon que l’atteinte a pour origine une violation contractuelle ou un autre comportement.

Que retenir sur les possibilités d’action en cas de violation d’une licence de logiciel ?

Le titulaire des droits de propriété intellectuelle sur un logiciel peut agir contre le licencié en contrefaçon quand bien même il allègue d’une violation d’une stipulation du contrat de licence relative aux droits de propriété intellectuelle.

Dans ce contexte, le titulaire des droits de propriété intellectuelle sur un logiciel bénéficie d’un choix, agir en contrefaçon ou en responsabilité contractuelle en respectant les régimes juridiques applicables à chaque action (compétence juridictionnelle, preuve, préjudices réparables, application des éventuelles clauses contractuelles limitatives de responsabilité, etc.).

Il appartient maintenant à la Cour d’appel de Paris de statuer sur le litige opposant les sociétés IT Development et Free Mobile à la lumière de la réponse apportée par la CJUE.

Mathias Avocats ne manquera pas de vous tenir informés de la décision de la Cour d’appel de Paris à la suite de la position prise par la CJUE.