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Covid-19 : un cas de force majeure ?
20 mars 2020

« L’Etat considère le coronavirus comme un cas de force majeure pour les entreprises. Ce qui veut dire que pour tous les marchés publics de l’Etat, si jamais il y a un retard de livraison de la part des PME ou des entreprises, nous n’appliquerons pas de pénalités, car nous considérons le coronavirus comme un cas de force majeure. ».

Cette déclaration de Monsieur le ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Lemaire, lors de son discours du 28 février dernier à l’occasion d’une réunion avec les partenaires sociaux n’est pas passée inaperçue.

Toutefois, indépendamment de la sphère publique et des déclarations du ministre de l’économie, le coronavirus est-il susceptible de constituer un cas de force majeure entraînant la suspension de l’exécution des contrats en cours ? Le coronavirus peut-il être une cause de cessation des contrats ?

La force majeure est-elle définie en droit français ?

Avant l’ordonnance de réforme du droit des obligations, la force majeure se définissait, au grès des mouvements jurisprudentiels, comme un événement irrésistible, imprévisible au moment de la conclusion du contrat et extérieur au débiteur de l’obligation.

Depuis, 2016, en vertu de l’article 1218 alinéa 1er du code civil :

« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. ».

La force majeure suppose donc de caractériser les éléments cumulatifs suivants :

  • un événement échappant au contrôle du débiteur,
  • qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat,
  • dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées.
  • qui empêche l’exécution de son obligation par le débiteur.

Il convient de souligner que l’imprévisibilité s’apprécie toujours au jour de la conclusion du contrat. En conséquence, si l’événement, telle qu’une épidémie préexiste au contrat, le critère d’imprévisibilité n’est pas rempli.

En l’espèce, s’agissant du coronavirus, les contrats anciens ne soulèvent a priori pas de difficulté au regard du critère d’imprévisibilité. En revanche, il conviendra de s’interroger sur le point de départ effectif de l’épidémie et du moment à partir duquel l’impact de cette pandémie sur l’exécution du contrat devenait prévisible pour les contrats récemment conclus. Ce point de départ pourrait donner lieu à contestation. Faut-il considérer qu’il s’agit du jour où l’épidémie a commencé en Chine, en Europe ou en France ? Faut-il tenir compte de la date à laquelle l’Organisation Mondiale de la Santé en a fait un risque grave ou la date à laquelle le gouvernement français a officiellement qualifié cette crise sanitaire de force majeure ? Cette incertitude juridique invite à la plus grande prudence.

En outre, il faut démontrer l’existence d’un événement « dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées [et qui] empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ». Deux conditions sont donc à remplir : le caractère inévitable des effets de l’événement et l’impossibilité d’exécuter. Il n’est donc pas suffisant que l’exécution soit rendue plus onéreuse ou plus compliquée. Elle doit être purement et simplement empêchée.

En conséquence, la qualification de l’épidémie (voire de la pandémie) de Covid-19 n’aura pas de caractère automatique. Une appréciation au cas par cas en fonction des circonstances de l’espèce devra être effectuée.

Quelle est l’appréciation par la jurisprudence de cette notion en présence d’une épidémie ou d’un virus ?

Au regard de la définition de la force majeure, la seule existence d’une épidémie ou d’un virus ne suffit pas à qualifier un cas de force majeure. Tous les éléments constitutifs doivent être caractérisés.

La jurisprudence française a retenu qu’une épidémie générée par le virus Ebola ne constituait pas un cas de force majeure car aucun lien de causalité n’était caractérisé entre le virus et la baisse d’activité d’une société (CA Paris, 17 mars 2016, RG 15/04263). La solution a été identique lorsque le débiteur n’avait pu démontrer en quoi l’épidémie de chikungunya sur l’Ile de la Réunion avait été de nature à faire obstacle à ce qu’il puisse donner son appartement à bail dans le délai de six mois accordé afin de bénéficier d’une exonération fiscale (CAA Douai, n°15DA01345, 28 janvier 2016).

S’agissant de l’appréciation du critère irrésistible. A propos du virus chikungunya, la Cour d’appel de Basse-Terre a souligné qu’ « en dépit de ses caractéristiques (douleurs articulaires, fièvre, céphalées, fatigue, etc.) et de sa prévalence dans l’arc antillais et singulièrement sur l’île de Saint-Barthélemy courant 2013-2014, cet événement ne comporte pas les caractères de la force majeure au sens des dispositions de l’article 1148 du code civil [ancien]. En effet, cette épidémie ne peut être considérée comme ayant un caractère imprévisible et surtout irrésistible puisque, dans tous les cas, cette maladie soulagée par des antalgiques est généralement surmontable (les intimés n’ayant pas fait état d’une fragilité médicale particulière) et que l’hôtel pouvait honorer sa prestation durant cette période » (CA Basse-Terre, 17 décembre 2018, RG 17/00739).

Il semble donc résulter de cet arrêt que, dès lors qu’un virus est connu, endémique et non létale, la force majeure n’aurait pas vocation à s’appliquer. Dans le contexte de la présente crise sanitaire, une lecture a contrario de cette solution semble indiquer que l’absence de traitement pour le coronavirus à l’heure actuelle et sa létalité pourrait permettre de retenir le caractère irrésistible. Cette qualification serait, toutefois, susceptible d’être remise en cause une fois un traitement avéré et efficace connu.

Les juges ont également écarté la force majeure lorsque le virus Ebola n’avait pas rendu l’exécution des obligations impossibles (CA Paris, 29 mars 2016, RG 15/05607).

Enfin, même en ayant relevé que le confinement d’animaux avait perturbé les activités des parties au contrat dans un contexte de grippe aviaire, la Cour d’appel de Toulouse a considéré que l’impact de l’épidémie « sur les résultats de l’exploitation n’établit pas qu’il présentait un caractère insurmontable et irrésistible susceptible de lui conférer la qualification d’événement de force majeure » (CA Toulouse, RG 19/01579, 3 octobre 2019).

S’agissant de l’appréciation du critère d’imprévisibilité au jour de la conclusion du contrat. La force majeure a également été écartée en présence de l’épidémie de dengue, les juges ayant retenu qu’elle était récurrente et donc prévisible (CA Nancy, 22 novembre 2010, RG 09/00003). Il en a été de même s’agissant du virus H1N1 qui avait été largement annoncé avant même l’adoption de règles sanitaires (CA Besançon, 8 janvier 2014, RG 12/02291).

Ainsi, la jurisprudence a-t-elle tendance à apprécier strictement les événements susceptibles de constituer un cas de force majeure. Dans ce contexte, les parties auront tout intérêt à aménager la définition de la force majeure dans leur contrat, en précisant ce qui sera expressément considéré ou non comme un cas de force majeure, ainsi que les effets de celle-ci.

Quels sont les effets de la force majeure sur les relations contractuelles ?

Il résulte de l’article 1218 alinéa 2 du code civil que :

« Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1. ».

En présence d’un empêchement définitif, le contrat est résolu de plein droit, tandis qu’il est suspendu en cas d’empêchement temporaire. La durée de suspension de l’exécution dépend de la durée de l’événement constituant un cas de force majeure. L’exécution reprendra alors dès la fin de l’empêchement.

Par exception, le retard causé par la suspension de l’exécution du contrat peut met fin au contrat. En application de l’article 1224 du code civil, le retard devra être suffisamment grave pour justifier la cessation du contrat. Il conviendra également de veiller aux effets de la fin du contrat (résiliation ou résolution).

S’agissant du coronavirus, il conviendra d’attendre qu’une décision actant de la fin de l’épidémie intervienne. Là encore, des questions quant à l’autorité dont une telle décision doit émaner pour produire des effets sur les contrats suspendus pourraient se poser (OMS, gouvernement français).

Mathias Avocats ne manquera pas de vous informer des impacts juridiques de la crise sanitaire actuelle.